• Extrait de la Revista n°2 : Polémique sur le comptage des manifestants

     

    Comme la convulsion d’un être laissé pour mort, comme le réveil brutal d’un volcan endormi à jamais, la mobilisation populaire face au projet gouvernemental de réforme des retraites ressuscite une logique enterrée hâtivement par notre « intelligentsia libérale » et présentée comme délicieusement surannée, celle de la « lutte des classes ».        
    Le combat mené autour des traditionnels « chiffres de la mobilisation » semble ainsi illustrer la vieille formule marxiste que certains penseurs serviles avaient si promptement rangée sur les étagères de l’Histoire, témoignage d’un passé révolu exposé sagement entre « Commune de Paris » et « Front Populaire ».       

    Ces terribles indicateurs, qui semblent à eux seuls décider désormais aux yeux des médias dominants et du pouvoir de la légitimité ou non d’un combat, sont aujourd’hui au cœur d’une lutte qui n’a rien d’anecdotique. L’ampleur des écarts constatés dans la mesure des manifestants ne doit rien au hasard et ne semble pas être le signe d’une carence généralisée de formation au niveau arithmétique. Lorsque le pouvoir, inquiet des répercussions sociales et politiques d’un mouvement populaire, cherche à connaître de manière quasi-exacte l’affluence des différentes journées de mobilisation il peut compter sur des services de surveillance aux ordres et bien plus efficaces qu’il n’y paraît à première vue.  Alors comment expliquer par exemple que la police clermontoise fut frappée dans son ensemble d’une cécité foudroyante ce samedi 2 octobre, à l’occasion d’une manifestation familiale de très grande ampleur où près de 45 000 personnes ont défilé pendant plus de trois heures dans les rues de la capitale auvergnate ? La préfecture communique quant à elle le chiffre ridicule de 14 000 personnes, le grand rassemblement populaire du week-end ayant manifestement moins mobilisé que le dernier match de rugby au stade Marcel Michelin ! Entre temps personne ne s’est semble-t-il préoccupé des 31 000 clermontois qui ont disparu entre la place Delille et le place de Jaude. A cette échelle ce n’est plus une erreur mais une manipulation et la préfecture auvergnate n’a rien à envier dans ce domaine à sa consœur marseillaise.  

    Si les différentes centrales syndicales n’ont aucune raison de gonfler les chiffres de la mobilisation alors que le conflit n’en est qu’à ses prémices, le pouvoir a lui tout intérêt à minorer l’ampleur d’un mouvement social qui fragilise son action et sa légitimité. Certains policiers ont ainsi contesté le mode de calcul des manifestations et reconnu que « le nombre de manifestants compté sur le terrain par les policiers n’est pas toujours celui communiqué »[1]. A titre d’exemple, le policier interviewé par l’A.F.P cite une manifestation de l’automne 2009 où ses collègues avaient dénombré 5 000 manifestants et où la préfecture n’en avait communiqué que moins d’un millier !         
     
    L’enjeu politique est de taille et celui-ci est décuplé lorsque les médias dominants participent eux-mêmes à cette grande entreprise de manipulation collective. Lorsqu’ils ne reprennent pas directement les chiffres diffusés par la préfecture, ces derniers proposent à leurs lecteurs ou leurs auditeurs de se lancer dans un jeu truqué d’avance : une « savante entreprise de comparaison » où sont mis sur un même pied d’égalité les chiffres issus de la mobilisation populaire et ceux diffusés par des fonctionnaires aux ordres de l’Etat. Alléluia, la vérité est dans la moyenne ! Ah la belle époque de l’information impartiale où au nom d’une sainte neutralité nous invitons le maître à se prononcer publiquement sur les capacités d’émancipation de ses esclaves. La polémique est utile, et tant pis si les ficelles sont trop grosses, elle décrédibilise les centrales syndicales et assure malgré tout une légitimité aux services du pouvoir dans le recensement et la publication de la capacité d’action de ses propres opposants. Une histoire ubuesque où Alfred Jarry laisse la plume à Georges Orwell. Dans un scénario où la mobilisation parisienne ne remplit même pas le Stade de France, où les marseillais dans la rue sont à peine trois fois plus nombreux que les participants à la discrète université d’été du MEDEF et où le pouvoir nous propose une moyenne de 3 000 manifestants par ville de plus de 30 000 habitants[2], le citoyen a-t-il des raisons de se méfier de la communication gouvernementale ?
    Dans le doute je préfère tourner mon attention en direction de la rue gardant néanmoins à l’esprit que « celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs »[3].

    Qui a dit que la bataille des chiffres n’avait rien d’une guerre de classe ?

    LIBERTAT AUVERGNE



    [1] Propos de Nicolas Comte secrétaire général d’Unité Police à l’A.F.P.
    [2] 260 villes françaises de plus de 30 000 habitants dont Paris (60 000 manifestants pour plus de 2 millions 200 000 habitants), Marseille (19 000 manifestants pour plus de 850 000 personnes) et Lyon (20 000 personnes dans la rue pour 472 000 habitants).
    [3] Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871.

     

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